D'un homme bien étrange, debout et rigolo
Tout commence avec une fausse idée. Voyez-vous, depuis des années, des décennies peut-être, le Parti socialiste a l'image d'une structure divisée. Cela vient de ce qu'il a accepté d'afficher ses divergences internes et en leur donnant même un nom : les courants. Bien sûr, c'est évident, tout le monde ne pense pas pareil au sein du PS. Entre Benoît Hamon et Manuel Valls, il y a même un monde. Mais les socialistes ont souhaité assumer cet état de fait et en ont souffert. De son côté, le RPR, devenu UMP, apparaît, en comparaison, comme un parti uni, soudé, marchant au même rythme. C'est, évidemment, faux.
En réalité, il existe bien une différence de comportement dans les rangs des deux partis. Là où le PS va jusqu'à torpiller une candidature légitimisée par un vote interne, l'UMP a la capacité de se réunir derrière un leader. C'est ce fameux culte du chef que les socialistes ont tant de mal à accepter alors que c'est une religion à droite. Au sein de l'actuelle majorité, donc, il existe au moins autant de disparités que chez l'ennemi. Entre Claude Guéant et Laurent Wauquiez, n'y a-t-il pas un peu plus que ''épaisseur d'une feuille de papier à cigarette ? N'a-t-on pas vu, ces derniers temps encore, des députés UMP renâcler à voter la "TVA sociale" ? N'existe-t-il pas, depuis de nombreuses années, une lutte interne entre gaullistes-à-fibre-sociale et néo-libéraux ?
De cette dernière opposition est né notre sujet du jour : Nicolas Dupont-Aignan. Candidat à l'élection présidentielle sous l'égide de "Debout la République", il semblerait que l'homme ait réussi à réunir les 500 parrainages. Contrairement à 2007. Sous ses airs guignols et un peu niais, se cache en réalité un homme qui a fréquenté les plus hautes sphères de l'Etat et qui traînait déjà dans les cabinets ministériels et préfectoraux au début des années 1990. Car, après être sorti de l'IEP de Paris et de l'ENA, Dupont-Aignan a immédiatement intégré quelques fonctions de prestige pour le compte du RPR. Il a même été conseiller technique du ministre de l'Education nationale... François Bayrou ! Mais très vite, le jeune loup a des velléités de départ. Il est de l'aventure RPF avec Philippe de Villiers et Charles Pasqua avant de revenir à la raison et à la maison. Puis, le voyant grimper dans les sondages, il aborde un rapprochement avec Jean-Pierre Chevènement en 2001. Là encore, il ne donne pas corps à sa tentation et profite de la victoire de Chirac en 2002 pour adhérer à la nouvelle-née UMP. Il se présente même à sa présidence face à Alain Juppé. Deux ans plus tard, il sera également face à Nicolas Sarkozy lorsque se dernier est élu à la tête du parti.
Candidat à tout, ouvert à chaque opportunité qui s'offre à lui, Dupont-Aignan commence à se dessiner une idéologie avec le référendum de 2005. Cela ne surprendra personne aujourd'hui, mais il s'était énergiquement opposé à celui-ci. Les deux années qui vont suivre seront celles de la scission puisqu'après avoir vigoureusement protesté contre la privatisation de GDF puis contre le CPE, il quitte l'UMP au début de l'année 2007. Son club "Debout la République" devient alors une formation à part entière. Il envisage même de se présenter à la présidentielle, mais la pénurie de parrainages lui est fatale. Néanmoins, après avoir apporté son soutien à Nicolas Sarkozy, il est tranquillement réélu député dans son fief, sans aucun candidat UMP face à lui, et avec la mention "majorité présidentielle". L'ingrat quittera pourtant cette dernière à l'automne 2007 et ira même jusqu'à voter la motion de censure socialiste de 2008.
Coups médiatiques ahurissants !
Voilà pour le parcours de ce personnage parfaitement atypique qui aura été un des plus vigoureux opposants à Nicolas Sarkozy durant son quinquennat. Désireux de se construire une identité politique, il se revendique du gaullisme social, souverainiste, violemment anti-européen et partisan du retour au franc. Pour le reste, difficile de se faire une idée de son programme, tant le tout semble entouré de flou. Il semble se concentrer sur deux aspects primordiaux : l'économie et la place de la France. Rien sur l'immigration, la sécurité et, curieux, sur le social. Rien de concret, en tous les cas, si ce n'est une opposition systématique au gouvernement, accusé de faire du "mauvais capitalisme" (sic!). S'il reconnaît une proximité idéologique avec le FN sur le thème de l'Europe, il accuse, en revanche, le Front de "monter les Français les uns contre les autres" et récuse tout rapprochement. En réalité, ce n'est que son souverainisme acharné qui lui vaut d'être classé à la droite de la droite. Mais beaucoup, au sein de l'UMP, méritent de le dépasser à tribord.
Ce qui est indéniable, lorsque l'on évoque Nicolas Dupont-Aignan, c'est qu'il est caractérisé par deux choses majeures : le courage et le ridicule. Les deux intimement liés, par ailleurs. S'il a réussi à exister durant cinq ans, s'il est parvenu à battre personnellement le MoDem et le NPA aux régionales en Ile-de-France en 2010, s'il semble qu'il sera bien présent au premier tour de la présidentielle contrairement à Morin et Boutin, c'est qu'il s'est forgé une image médiatique grâce à des coups de communication assez hallucinants. Des campagnes tellement grotesques qu'il faut une sacrée dose de courage pour les assumer.
Ainsi, en 2010, lors d'un meeting, pour démontrer tout le bien qu'il pense de la monnaie européenne, il déchire péniblement un faux billet géant de 10 euros. La scène sera reprise au "Petit Journal" et sur Internet. Un instant culte. Mais qu'importe, Dupont-Aignan reprend à son compte la célèbre maxime sarkozyste : "en bien ou mal, l'important est que l'on parle de moi". En 2011, il diffuse deux spots, toujours sur Internet, pour faire la promotion de son livre, toujours sur l'euro, "l'arnaque du siècle". Le résultat se passe de commentaire (première vidéo et seconde vidéo) et, là encore, les moqueries de la Toile seront légion. Toujours en 2011, lors du vote du Parlement français sur l'intervention en Lybie, Dupont-Aignan se bâillonne avec son écharpe tricolore (photo), mécontent que les députés non-inscrits n'aient pas le droit de s'exprimer individuellement. Et puis, l'hiver dernier, chacun se souviendra de l'opération "péages ouverts" à Saint-Arnoult, pour manifester contre la hausse des prix des autoroutes. La police viendra gentiment le déloger, alors qu'il donnait quelques interviewes à un mètre des voitures passant à toute allure ! Le candidat de "Debout la République" a fait de ce genre de guignolades sa marque de fabrique et n'a plus aucune pudeur dès qu'il s'agit de faire campagne. Ainsi, en visite en Grèce ces derniers jours, il n'a pas eu peur de crier face à une foule plutôt clairsemée : "vive la Grèce libre" ! Un éclat de rire permanent, ce monsieur.
Et puis, ces derniers jours, comment ne pas mentionner la double imposture de Gérald Dahan, imitant Eric Cantona, qui a fait dire ses quatre vérités au candidat sans que celui-ci ne se doute un seul instant qu'il était piégé, aveuglé par la perspective d'être soutenu par une telle célébrité. Le tout révélant son côté naïf et son manque d'expérience à ce niveau. Le 22 avril, c'est un spectre idéologique qui se présentera face aux Français. Mais un spectre avec du caractère, du courage et un sens très à lui de la mise en scène.