De savoir bien s'entourer, aussi
"Petites phrases et grandes idées" a souvent fait l'éloge de la campagne pré-premier tour de Nicolas Sarkozy. Non que les thèmes abordés ou l'idéologie n'aient grandement séduit par ici, mais pour atteindre 26% des suffrages avec un tel bilan, il faut quand même être une sacrée bête politique. Et le voilà même en position d'obtenir un score plutôt honorable, ce qui relève de la gageure au regard de sa rhétorique d'entre-deux tours.
Néanmoins, il convient de rendre à François ce qui est à Hollande. Si le socialiste en est là (c'est-à-dire aux portes de l'Elysée), il ne le doit pas uniquement au désamour des Français pour leur Président. Il a su profiter pleinement du retrait involontaire de DSK et s'imposer comme le candidat évident du PS. Depuis son net succès à la primaire de son parti, il a développé un projet résolument sérieux et ambitieux, axant sa campagne sur des thèmes porteurs de la gauche comme la jeunesse, l'éducation ou la lutte contre la "spéculation folle". De plus, Hollande a pris un soin particulier à utiliser des termes l'opposant drastiquement au Président sortant. Ainsi, le voilà se présentant comme souhaitant être un "Président normal" et incarner le "changement". Façon de rappeler qu'en face, on a l'homme au pouvoir depuis cinq ans, bling-bling au possible, festoyant au Fouquet's et bronzant au Cap Nègre.
Il apparaît donc indéniable que, même si un âne et un teckel étiquetés UMP et PS seraient malgré tout au second tour, les champions des deux partis principaux de la politique françaises ont chacun mené une bonne campagne, au sens où ils ont su atteindre les scores qu'ils espéraient, plus ou moins.
Aubry mal inspirée
Seulement voilà. Si nos deux héros n'ont pas grand chose à se reprocher sur cette campagne (jusqu'au 22 avril, en tous cas), on ne peut pas en dire autant de leur entourage. Jusqu'il y a peu, cela ne sautait pas aux yeux du côté socialiste. Les roses se tenaient bien, aux ordres du patron, gardant leurs revendications pour eux et prêchant la bonne parole sur les plateaux télés. Même les camarades qui ne roulent pas sur les mêmes rails, Montebourg en tête, ont su tenir leur langue et respecter la campagne. Malheureusement pour ce bon François, plus l'échéance approche, plus sa victoire paraît inéluctable. Et plus la discipline se fait lâche. Alors voilà que la garde rapprochée du candidat socialiste s'amuse à multiplier les bêtises, comme si l'élection était trop facile et qu'il fallait absolument jouer avec le palpitant de tout ce que la France compte de partisans de la gauche.
Et ça commence, comme il y a un an, avec DSK. Le pourtant très sérieux journal anglais "The Guardian" publie une interview de l'ancien boss du FMI, dans laquelle ce dernier aligne les phrases fortes du type "je ne m'attendais pas à ce qu'ils aillent aussi loin". 'Ils"... Voilà qui est bien mystérieux... La droite ? Des ennemis internes à gauche ? Ses opposants au FMI ? En réalité, pas grand monde puisque Strauss-Kahn a démenti s'être entretenu avec qui que ce soit du "Guardian". L'interview en question n'était en fait qu'un montage, fruit de la compilation de déclarations de DSK issues d'un livre à paraître. Tout ça n'est pas sérieux du tout de la part du prestigieux journal britannique. Et il n'en aura pas fallu plus pour que Nicolas Sarkozy se jette sur l'affaire et demande à Strauss-Kahn d'avoir "la décence de se taire". De fait, celui-ci n'a jamais rien dit, mais le candidat UMP ne pouvait pas savoir... Et puis, histoire de bien enfoncer la polémique, Julien Dray, qui n'est pas à une connerie près, a organisé son anniversaire dans un restaurant (anciennement boîte de strip-tease) et invité tous les caciques du parti et... DSK ! Lorsque ce dernier est arrivé, les autres sont partis. Mais les journalistes ont su. Bravo Julien, tu viens de perdre un ministère !
Et puis, voilà que dimanche, Martine Aubry elle-même se met à parler sans réfléchir. Interrogée sur son avenir personnel, elle a confirmé qu'elle quitterait la direction du PS au lendemain du 6 mai. "Le travail a été fait, la rénovation du PS est en bonne voie", plaide-t-elle, justifiant sa décision. Elle qui a su mettre sa déception de côté pour assister François Hollande tout au long de la campagne et lui assurer le soutien du parti qui avait tant manqué à Ségolène Royal en 2007, elle qui a ouvert la plupart de ses grands meetings, comment a-t-elle pu occulter l'aspect néfaste d'une telle déclaration ? Le plus grand danger qui guette la candidature Hollande est celle de voir l'élection déjà gagnée. Or, en annonçant son départ de Solférino, Martine Aubry envoie un message clair et limpide à l'opinion publique : "Hollande a gagné, je vais à Matignon". C'est peut-être vrai, peut-être faux, mais le timing est lamentable et nul doute que l'UMP va se jeter sur cette erreur pour en faire ses choux gras.
Pas facile d'être candidat. Limiter ses propres erreurs est suffisamment difficile pour que l'on n'ait pas besoin de vérifier quelles bêtises sont prononcées dans son entourage. Sarkozy n'a pas été épargné par Estrosi, Morano ou Rosso-Debord. Parfois, les deux candidats doivent s'arracher leurs quelques cheveux en ouvrant les journaux. D'ailleurs, voici une suggestion : plutôt que de se flinguer les chevilles avec leurs "cellules ripostes", les deux partis principaux devraient envisager des "cellules contrôles" qui veilleraient à ce que les boulets traditionnels gardent les lèvres bien serrées en temps utiles. Accessoirement, ça ferait du bien à nos oreilles...
En photo : Julien Dray en train de réfléchir... En vain...