Des lobbies religieux et de l'un d'eux en particulier

Les télés sont en boucle, les sites d'infos ne s'en remettent pas, les radios en causent toutes les quinze minutes, c'est incroyable : François Hollande est allé saluer Nicolas Sarkozy ! Ils se sont serrés la main, comme des gens civilisés, des êtres humains et tout ! C'est fou non ? Sans doute le premier voulait y voir une forme de passage de témoin, toujours est-il qu'un responsable politique est allé saluer le Président de la République et que l'importance conférée à cette image démontre à la fois la pauvreté de la campagne électorale et la nullité éditoriale des médias.

Naturellement, les matinales audiovisuelles ont demandé à chacun de leurs invités ce que leur inspirait un séisme politique de cette envergure et tous ont eu l'air passablement agacés par la question. Mais de toutes les réactions, une phrase est ressortie, sans doute plus intéressante que les autres. Et, humour cosmique sans doute, elle est signée Nicolas Dupont-Aignan. "Il est juste dommage que ce salut ait eu lieu au cours d'une manifestation communautariste". Référence au fait que la scène se soit déroulée au cours du dîner annuel du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). Et c'est effectivement très étrange qu'Hollande et Sarkozy ne se soient croisés ces derniers mois qu'à cette occasion. En réalité, c'est tout sauf un hasard. Instauré en 1985, ce petit repas est, chaque année, l'occasion de voir tout le panorama politique de sortie. A l'exception de Marine Le Pen, non invitée, et les partis d'extrême gauche, jugés pas-les-bienvenus en raisons de leur positionnement pro-Palestinien, tout ce que la France compte de personnalités politiques de premier plan est invité. Et rares sont les absents.

Comment un dîner sous l'égide d'une réunion communautaire religieuse attire-t-elle autant de personnes de pouvoir ? La loi de 1905 sépare, certes, la religion de la politique, mais les lobbies continuent d'être actifs et, pour ce cas précis, les pressions juives sont d'autant plus efficaces qu'elles concernent des gens qui sont structurés. Les musulmans servent trop souvent de boucs émissaires pour que leur vote soit ciblé. Ils ont bien une organisation à eux (le CFCM, Conseil francais du culte musulman), mais elle est faible, minée par les divisions internes et présidée par un homme, Mohammed Moussaoui, qui est aussi vice-président du Rassemblement des musulmans de France. Autant dire que l'influence se perd... Les catholiques eux n'appartiennent à personne politiquement ou ne sont pas assez structurés en lobby. Enfin, les autres religieux sont microscopiques. Les juifs, eux, disposent avec le CRIF d'un outil de pression non négligeable puisque chaque industriel, chaque politique, chaque personnalité avec un rien d'influence ou de pouvoir étant de confession juive y adhère. Dernière précision utile : les juifs votent. Massivement.

Communautarisme à deux vitesses

Mettons les choses au clair tout suite, au risque de pointer une évidence : "Petites phrases et grandes idées" n'a rien en particulier contre la religion juive. Ici, on bouffe du rabbin avec autant d'appétit que du curé ou de l'imam. Pas de discrimination, toutes les religions dégustent quand elles le méritent. C'est-à-dire à peu près tout le temps.

Pour revenir au CRIF, la volonté des candidats de séduire l'électorat juif est telle qu'outre leur présence, lourde de sens, une petite entorse au protocole a été observée cette année. En théorie, c'est le Premier Ministre qui prend la parole au cours de ce dîner. Cette année, Nicolas Sarkozy s'est invité à la tribune en personne. Et il est venu avec des amis : la petite famille de Ghilat Shalid ! Oui oui, le soldat israélien récemment libéré contre 1000 Palestiniens (le cours du prisonnier est variable selon les régions). En terme de récupération politique, on prend 30 ans dans la face. Ce n'est plus une ficelle, c'est une corde à noeud. Faut-il que ce vote soit crucial aux yeux du Président sortant. "La France s'est mobilisée parce que Gilad a été persécuté, maltraité, torturé, a expliqué Sarkozy. Rien ne peut justifier ce comportement barbare". Dans le sens du poil, Nicolas, c'est bien. "La France ne transigera jamais avec la sécurité d’Israël, a-t-il ajouté. Parce qu’Israël, c’est un miracle. Sa disparition serait un recul effrayant de l’histoire du monde". Les larmes montent...

En soi, il n'y a rien de scandaleux à ce que les juifs se regroupent au sein d'une organisation pour défendre leurs intérêts. Les choses fonctionnent ainsi et il convient de l'accepter. Cependant, et le coup politique de Sarkozy en est la preuve, le CRIF dispose de la particularité de pousser la politique internationale de la France dans un sens, ce qu'aucune autre religion ne fait. Là où cathos et musulmans se disputent un terrain pour leur lieu de culte, des libertés dans l'expression de leur foi ou autres pécailles, les juifs font pression pour que la France agisse dans le sens de l'Etat d'Israël. Etat qui, est-il besoin de le rappeler, est le seul au monde à coloniser ouvertement un Etat-en-devenir voisin et à braver la loi internationale. De fait, depuis des dizaines d'années, les Présidents français en déplacement au Proche-Orient prennent systématiquement fait et cause pour Israël, considéré comme pays agressé se protégeant par l'attaque. Comment interpréter un tel positionnement diplomatique autrement que le résultat d'un lobby actif ?

En théorie, la politique d'Israël et le croyant juif de base n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Tout comme le musulman lambda et l'Iran. Mais lorsque se pose la question du CRIF, les deux deviennent inévitablement liés dans le cadre de cette pratique dénoncées par tous les partis mais solidement ancrée dans les moeurs : le communautarisme. Et l'on revient à la remarque de Dupont-Aignan. Sarkozy a longtemps dénoncé cet état de fait dès lors qu'il est pratiqué par les immigrés. Mais en matière de religion, la tolérance est toute autre. Que des Chinois ou des Portugais vivent ensemble, mangent ensemble et ne se mêlent pas à la population, ce serait intolérable. Mais que des juifs se regroupent tous ensemble, se fassent profiter les uns les autres de leurs réseaux et fassent pression sur l'Etat français pour obtenir des garanties en matière de politique étrangère, cela devient intéressant car utilisable. Et chaque année, la même question se pose. Les juifs auront certainement un petit mail signé du CRIF les incitant de de voter pour le Président sortant si le Président en question a bien fait ses devoirs diplomatiques. Notez, au passage, la magnifique apparition de Richard Prasquier, président du CRIF, au milieu de la photo de la poignée de main entre Hollande et Sarkozy. Cet homme est beaucoup plus vif qu'il n'y paraît !

"L'Express" a demandé à Stéphane Le Foll, sherpa du candidat socialiste, pourquoi celui-ci s'était rendu au dîner. Réponse : "On n'avait pas de raison de dire non, c'est le genre de dîner où tout le monde va. (...) Le CRIF, on y est allé quasiment tout le temps, c'est comme ça, il y a des choses qui s'installent". Effectivement, "il y a des choses qui s'installent". Et dont le bien-fondé n'est pas suffisamment remis en cause.

NB : Pour ceux qui n'auraient pas trouvé le sommeil, la réponse à l'énigme photographique de l'article de mercredi était : François Hollande, Nicolas Hulot, Laurent Fabius et Eric Besson.

Comments

[brigitte l'autre]

un simple geste de politesse ... qu'aurait-on dit s'ils s'étaient évités? bonne réflexion sur le pourquoi de cet "usage", et si chaque religion faisait son "repas" de loby?? , le peuple élu se vexerait car il aurait le sentiment de ne plus être l'élu, le seul l'unique ...