De Guéant, Claude, zélé petit soldat

Evacuons tout de suite l'aspect politico-stratégique des différentes sorties de notre ministre de l'Intérieur bien-aimé, voulez-vous ? Nicolas Sarkozy, pour d'obscures raisons, croit dur comme fer qu'une élection présidentielle se gagne en faisant le plein de voix dès le premier tour. Or, pour ce faire, il se doit de rassembler du centre-droit, dit "social", à l'extrême-droite, dite "populaire". Après son émission télévisée, son positionnement laissait entendre qu'il voulait assouplir les lois dans le sens des classes moyennes, du pouvoir d'achat et de l'emploi. Très social, donc presque centriste. Il se devait de donner des gages aux plus radicaux de ses partisans. Et l'UMP dispose de l'arme ultime dans ses rangs pour ce faire : Claude Guéant. Ainsi, ce dimanche, au congrès d'une UNI qui rappellera de doux souvenirs aux manifestants étudiants, le ministre a assuré que "toutes les civilisations, toutes les pratiques, toutes les cultures, au regard de nos principes républicains, ne se valent pas". Charmant.

Or, n'importe quel imbécile est capable d'une saillie polémique dans les médias. Morano, Chatel, Lefebvre, Rosso-Debord, beaucoup d'aboyeurs de l'UMP auraient pu se rendre coupable de pareille énormité. Et, de fait, ils sont déjà passés à l'acte plus qu'à leur tour. Ce qui chiffonne, concernant Guéant, réside dans deux points : son rang et son zèle. Tout d'abord, on parle là du ministre de l'Intérieur, qui dispose du portefeuille de l'immigration. Un message concernant les autres "civilisations" prend donc une dimension supplémentaire lorsqu'il émane de sa bouche. Et puis, là où certains se contentent d'assurer que l'immigration en France est mal contrôlée, qu'il convient d'expulser des sans-papiers ou que le port du voile est un avilissement de la femme, Guéant semble sortir du fond de ses tripes une profonde conviction. Il ne fait aucun doute qu'il a obtenu l'autorisation, et même la demande expresse, de l'Elysée pour s'exprimer de la sorte, mais lui paraît le faire avec plaisir et sûreté.

Que le FN soit au second tour !

Ce n'est naturellement pas la première fois que le parti majoritaire s'en va faire mumuse sur le terrain de l'extrême-droite. Si bien, d'ailleurs, qu'on en vient à se demander si la droite non extrême existe encore. Mais le Front national, si l'on se permet de lui accorder quelque chose, dispose d'une cohérence dans ses propos. Si nauséabonds soit-elle, leur idéologie suit une évolution naturelle. L'UMP, elle, oscille entre rappel aux valeurs des Droits de l'Homme et propos complètement racistes. Ainsi, et de plus en plus, l'immigré va être brocardé, pointé du doigt, rappelé au fait qu'il ne doit faire qu'un avec les "valeur républicaines" de la France. Notez que l'on parle bien là de l'immigré, et non du sans-papier. Claude Guéant s'est fait une spécialité d'attaquer les étrangers résidant en France, même de façon régulière et légale. "Certains Français ne se sentent plus chez eux", souvenez vous. Nulle mention aux fraudeurs, aux sans-papiers, aux immigrés clandestins. Non, simplement aux cultures différentes, aux civilisations présumément inférieures. Et la boucle est bouclée.

Ainsi, naît chez Claude Guéant ce mélange de haine de la différence ("xénophobie" en somme) et de sentiment de supériorité. Tous autant que nous sommes, nous avons subi la propagande de la République lorsqu'en cours d'Histoire ou d'Education civique, les professeurs nous rappelaient combien notre pays était merveilleux, accueillant, et que ses valeurs étaient infiniment supérieures à celles des autres... civilisations. Chez le ministre de l'Intérieur, cette conviction est devenue tellement forte qu'elle s'est muée en arrogance. Et le plus simplement du monde, il explique que le musulman qui arrive en France est inférieur. Parce qu'il est issu d'une civilisation qui n'arrive pas à la cheville de la nôtre, parce qu'en pénétrant sur notre sol, il est toléré et non accepté et que, par conséquent, la France lui rend un service. Et que même s'il obtient une naturalisation, il devra toujours se souvenir quelle chance il a d'avoir pu mettre les pieds ici.

Dire qu'une telle idéologie est dangereuse est un euphémisme. Elle pousse au communautarisme, à la haine des élites, au rejet des pouvoirs publics. Mais un immigré ne vote pas. Un raciste, oui. Et l'on arrive au dernier point, peut-être le plus fascinant. Il concerne le militant UMP. Dans n'importe quel autre parti, n'importe lequel c'est important, une telle souplesse idéologique pousserait la base et même certains caciques à réagir vigoureusement. Le PS a désavoué sa candidate en 2007 lorsqu'elle a parlé d'encadrement militaire pour son service civique. Le FN a reproché à Marine Le Pen sa stratégie trop molle, toujours en 2007. Le Modem s'est rebellé face à Bayrou après l'échec des municipales de 2008. A l'UMP, chaque ministre, chaque secrétaire national réagit en rangs serrés aux propos de Guéant. Et quand ils ne les approuvent pas entièrement, ils trouvent toujours un moyen de les justifier. Quant aux sympathisants, les enquêtes d'opinion démontrent qu'ils restent plus ou moins le même nombre. C'est un syndrôme propre à l'UMP. Quand Eric Besson quitte le PS pour rejoindre le gouvernement, puis la direction du parti, personne ne s'indigne. Qu'un type qui a combattu pendant des années les idées que vous défendez rejoigne vos rangs, ça ne vous hérisserait pas un peu le poil, vous ?

Parlons peu, parlons bien : quelle est, aujourd'hui, la différence entre le Front national et l'UMP ? La défense de la peine de mort. En terme d'idéologie, c'est à peu près tout. Faisons le vide dans nos têtes et oublions les années de diabolisation du FN. Maintenant posons-nous la question : est-ce que la présence (hautement improbable) de Marine Le Pen au second tour face à François Hollande serait dramatique ? La réponse est non. Premièrement car elle assurerait la victoire au candidat socialiste. Deuxièmement car entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, il y a l'épaisseur d'une feuille de papier à cigarette. Mieux : l'élimination au premier tour du Président sortant est souhaitable puisqu'elle pousserait l'UMP à revoir sa copie et, peut-être, à faire son introspection. Ca lui permettrait de foutre dehors, à grands coups de pieds dans le fondement, tous les Claude Guéant qu'elle compte en son sein. Le RPR, puis l'UMP, version Chirac était un parti démagogue aux idées libérales. L'UMP de Sarkozy n'est pas une pâle copie du Front national : c'en est un concurrent direct, parfois plus extrémiste que lui. Et on a du mal à voir qui, dans le panorama politique français, pourrait être plus à l'extrême droite que Claude Guéant, ministre de l'Intérieur et honte de la République.

Comments

[mathieu]

plusieurs points dans cet article.

revenons au mot"civilisation". il est trop souvent confondu avec "régime politique". et c'est cette erreur que fait Guéan. et qui rendent ses propos encore plus nauséeux. je pense que la démocratie et la république sont les meilleurs systèmes politiques. par meilleur j'entends plus juste. par contre qui suis-je pour juger de la superiorité ou non de ma civilisation? ce sont des milliers d'années d'histoires qui construisent une civilisations. en quoi mon Histoire est elle meilleur que les autres? c'est exactement le même genre de propos que "l'héritage positif de la colonisation française qui a apporté la civilisation chez les peuples barbares". gerbant.

autre point. le Fn au second tour pas sur que la gauche l'emporte. car là où il y a eu un sursaut républicain en 2002 par les gauchistes, la nature même de l'électeur de droite sera de ne pas voir la gauche gagner, même au prix de voir l'extrême droite au pouvoir, ils s'en accommoderont.