De deviner pourquoi il y va
Bon, on va pas se mentir, hein, Nicolas Sarkozy sera candidat à sa propre succession en avril prochain. S'il entend profiter des moyens de l'Etat jusqu'au dernier moment décent (et il aurait tort de se priver), nul doute qu'il sera bel et bien présent en avril et même en mai. Cependant, cette candidature revêt des aspects assez étranges. Allons même jusqu'à envisager qu'elle n'ait rien de rationnel. Nicolas Sarkozy présente un bilan désastreux, une popularité en berne, une image internationale ancrée mais mal vue et toutes les enquêtes d'opinion le donnent perdant, voire éliminé au premier tour.
Alors pourquoi Nicolas Sarkozy se représente-t-il sans que quiconque n'y trouve à redire ? L'UMP n'a pas évoqué une seule seconde la possibilité que le Président reste sur un seul mandat. Et les alternatives Juppé, Fillon ou Copé ont fait long feu dans la médiasphère. En réalité, les conditions réunies pour que Nicolas Sarkozy brigue un second mandat tiennent tout simplement de l'irrationnel. La première est très connue : il s'agit de la prime au sortant. Si un autre candidat UMP s'avançait vers l'élection de 2012, il devrait faire face à l'incontournable question autour du retrait du sortant. Depuis le début de la Ve République, tous les Présidents n'ayant pas démissionné ou n'étant pas morts se sont tous représentés. Nicolas Sarkozy ne fera pas exception.
Deuxième raison, là encore générale et sûrement pas propre au seul Sarkozy : l'ivresse du pouvoir. Une fois au top, il convient de tout faire pour s'y maintenir. Tout ce qui a été dit, tout ce qui a été écrit sur la personnalité du Président français montre qu'il s'agit d'une personnalité ultra-ambitieuse, qui s'est inventé des obstacles à franchir et des revanches à prendre. Soit, il ne voulait rien plus que parvenir au sommet. Et il y est arrivé. Mais pourquoi prendre le risque de quitter la scène politique sur un échec ? Il part perdant pour le printemps prochain et, malgré tout, il tente sa chance. Un choix que personne ne remet en cause, mais qui intrigue tout de même. Le Président actuel a beau avoir répété sur tous les toits qu'il comptait bien ne pas arrêter la politique trop tard pour "faire de l'argent dans le privé" (selon Le Canard Enchaîné), il est candidat à un autre mandat de cinq ans. Pourquoi diable prendrait-il ce risque ?
La peur de l'oubli ?
En réalité, si l'on se réfère encore à ce problème d'ambition, Nicolas Sarkozy pourrait être tenté de vouloir laisser une trace. S'il quittait le pouvoir délibérément demain, il resterait dans l'Histoire comme le Président de la crise. Mais, pire encore, il finirait indéniablement par ne pas rester dans les mémoires. Giscardisé, en quelque sorte. Jacques Chirac a aboli le service militaire, s'est opposé à la guerre en Irak, a nucléarisé Mururoa, a dissout l'Assemblée. François Mitterrand a supprimé la peine de mort, légalisé l'homosexualité et restera à jamais comme le plus long Président en exercice de la Ve République. Même George Pompidou est dans les mémoires comme celui qui est mort à l'Elysée. Quant à Charles de Gaulle, inutile de s'éterniser sur sa légende. Nicolas Sarkozy n'a ni grande loi, ni grand positionnement international. Il ne laisse rien derrière lui que les cendres du modèle social français et la mise à mort du service public. La crise s'est occupée du reste. S'il s'en va volontairement maintenant, on l'oubliera. S'il s'en va au printemps battu, on l'oubliera également, mais non sans l'avoir moqué quelque peu. Le véritable tort de Giscard n'a pas été de se représenter et d'être battu, mais plutôt, d'avoir continué sa vie politique par la suite. Or, cela est hautement improbable en cas de défaite sarkozyste. "L'argent" du "privé" est trop attirant.
Apparemment, la règle au cours de la Ve République est que le Président sortant se représente. Et inutile de se faire prier, le pouvoir est une drogue. Enfin, quand on s'appelle Nicolas Sarkozy, seules la hauteur d'action et la légende comptent. Arrivera-t-il à renverser les pronostics et gagner un second mandat ? Et, surtout, parviendra-t-il à agir de manière suffisamment adroite pour cultiver une légende à la hauteur de ses prédécesseurs ? Autant de questions qui sont de toutes façons loin, très loin des préoccupations des électeurs et de la recherche d'une meilleure gouvernance.
Mais que l'on se rassure : lorsque le cynisme et l'arrivisme contrôlent une campagne, c'est que la politique est égale à elle-même. Dormons tranquille.