Des indignations de l'année
Pour ce dernier volet de son bilan de l'année 2011, "Petites phrases et grandes idées" s'est énervé un peu. Et, n'en déplaise à l'homme-de-l'année-et-même-de-l'univers Stéphane Hessel, ici, on ne fait pas dans le sélectif. Les indignations sont innombrables, du lancement d'un sujet au 20 heures jusqu'à la dernière faute de syntaxe de Nadine Morano. Ainsi, donc, voici ce qui a passablement irrité ou carrément outré en 2011.
L'automne islamique : Commençons par le plus évident, LA grande déception de l'année. Après les attentes soulevées par le printemps arabe, de nombreux observateurs ont justement pointé le fait que le plus dur était peut-être à venir. Or, les récentes élections ont montré que la dissolution de toute forme d'opposition politique par Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi a eu une conséquence directe. Aujourd'hui, les seules structures suffisamment puissantes pour proposer une alternative aux peuples "libérés" sont tous des groupes religieux. D'Enahrda aux Frères musulmans, tous ont remporté les élections par leur simple faculté à s'organiser rapidement. Ce que les jeunes partis n'ont pas eu le temps de faire. Aujourd'hui, ces pays libérés des dictatures plus ou moins brutales font face à un autre joug. Et l'avenir s'assombrit à nouveau.
Les guignols de Greenpeace : C'était il n'y a pas si longtemps et, déjà, l'évènement a été oublié. Faisons court et concis : des militants de Greenpeace ont réussi à s'infiltrer dans diverses centrales nucléaires françaises et à s'y cacher. Objectif : prouver que ces installations ne sont pas sûres. Le sous-entendu grossier concerne l'hypothèse d'un attentat terroriste. Or, Greenpeace n'a pas réussi à atteindre les zones de contrôle de la centrale et n'a pas non plus réussi à prouver que l'explosion d'une bombe ferait plus de dégât à 100 mètres qu'à 500. Conclusion : l'opération n'est pas concluante. Mais ce qui la rend ridicule et contre-productive, c'est que quelques jours plus tard s'ouvrait la conférence de Durban où Greenpeace n'a pas existé. Si l'objectif de l'association est de faire trois coups de pubs par an en lançant des slogans en l'air, qu'elle le dise. Le manque d'ambition n'est pas une tare. Mais si elle continue à revendiquer son envie de sauver la planète, il va falloir qu'elle commence à s'y mettre, au lieu de faire peur à l'opinion publique bêtement et sans raison.
Les délires de Laurent Wauquiez : Alors là non ! Pas lui ! S'il y en avait un qui n'était pas irrécupérable dans la majorité, c'était ce bon vieux social-libéral de Wauquiez. Belle gueule, jeunesse, gouaille et positionnement légèrement centre-droit, tout pour plaire le Lolo. Et puis voilà. Le drame. Le coming-out. Il s'avère que Wauquiez est aussi con que ses potes. En dénonçant le "cancer de l'assistanat", puis en suggérant fortement que certains logement sociaux soient laissés à des travailleurs plutôt qu'à des chômeurs, il a montré qu'il était parfaitement dans la moule sarkozyste suggérant que, pour avancer, il faut se délester des poids morts. C'est dommage, il incarnait un forme de retour à la normale pour la droite française. A la place, il s'installe dans sa radicalisation.
La Syrie impunie : Faut pas trop les brusquer, à l'ONU. Là, en ce moment, ils se reposent. Faut dire qu'intervenir en Libye, avec deux mois de retard, uniquement dans les airs, c'était crevant. Faut pas trop en demander. Et puis, une intervention du Conseil de sécu de l'ONU, ça ne se fait pas comme ça. Il faut qu'il y ait génocide, torture, tir sur foule, emprisonnement d'opposants ET détournement de fond. Bachar El-Assad n'a pas encore été déclaré coupable du dernier critère. Moubarak, Ben Ali et Kadhafi gardaient un trésor de guerre de plusieurs milliards de dollars chacun. El-Assad, lui, ne fait que fusiller arbitrairement les manifestants et les torturer. Pas pareil ! Et puis la limite de la décence, c'est une intervention tous les deux ans pour l'ONU. Donc Bachar peut continuer à massacrer tous ceux qu'il veut, il n'aura plus de peuple à gouverner d'ici à ce que les casques bleus arrivent.
La campagne aux frais de l'Etat : Il y a d'abord eu la blague du ministère des Français de l'étranger. D'abord occupé par David Douillet, puis par Joe l'inconnu, ce maroquin est destiné à aller convaincre les citoyens français vivant hors de leurs frontières de voter... pour l'UMP. Les réceptions données par le ministre-globe-trotter sont, paraît-il, très fastes, et les discours prononcés extrêmement élogieux pour notre Président. Lequel, rigolant sans doute depuis son Palais de l'Elysée, se promène aux quatre coins de la France aux frais du contribuable. "C'est intolérable", grognent les socialistes. "Il s'agit de déplacements de Président, non de candidat", répond-on. Et Sarkozy d'enchaîner, deux jours à peine après cette polémique, sur un discours-programme aux promesses douces à l'oreille, en direct live de Toulon. Il paraît que l'officialisation de la candidature Sarkozy n'interviendra pas avant mars. Largement le temps d'aller serrer des louches dans le Gers...
Les fous de Dieu qui refont surface : D'abord, il y a eu les protestations face à cette oeuvre d'art constituée d'un crucifix trempant dans un bocal d'urine. Les cul-bénis de tous poils se sont levés comme un seul Homme et ont réclamé la suppression de l'exposition, la condamnation de l'artiste, la mise à l'Index de l'oeuvre, etc. Haute atteinte à la liberté d'expression, dont les religieux les plus fervents sont coutumiers. Deuxième étape, les manifestations autour de la pièce "Golgotha picnic", qui a le malheur de tourner en dérision les récits saints. Là encore, défilés de cortèges bénis, cris d'orfraie, atteinte à la liberté de culte et tout ce genre de débilités religieuses. Heureusement, la communauté juive a, elle aussi, fait parler d'elle. Dans le trop fameux accord électoral entre socialistes et Verts, des membres des premiers ont dû céder leur place à des investis des deuxièmes. Or, dans la capitale, le CRIF a jugé bon de noter qu'un nombre important, sinon la totalité, de ces socialistes écartés étaient de confession juive. Et en avant pour le couplet sur le peuple martyr, sur la soi-disant exclusion, sur les boucs émissaires éternels, etc. Encore une bonne sortie contre-productive qui apporte de l'eau au moulin des antisémites. Et comme les deux autres "grandes" religions y sont allées de leurs conneries, les musulmans se sont dit qu'ils avaient le droit, eux aussi. Charlie Hebdo pleure encore ses locaux, le journal ayant eu le malheur de tourner en dérision la montée des intégristes consécutive au printemps arabe. Encore une bonne année pour la laïcité et la religion modérée...
Les barrières à l'Etat palestinien : Cette année, Mahmoud Abbas a décidé de faire quelque chose. Lui qui est bloqué par des pressions infernales et un gouvernement qu'il n'aime pas, a donc choisi le seul endroit où son rôle de Président de l'Autorité palestinienne a encore un sens : la scène internationale. Oh, il n'a pas demandé la lune, Mahmoud : il voulait seulement que la Palestine soit reconnue comme un Etat à part entière au sein de l'Unesco. Les Etats-Unis, qui n'ont de cesse de vouloir "suivre la feuille de route", ont prévenu : pas question de laisser passer cela. Pourquoi ? Parce que ! Barack Obama a réaffirmé son intention de voir un jour un Etat palestinien voir le jour, mais juste pas maintenant. Voilà. Encore un bon gag de la diplomatie US.
La machine à perdre socialiste : Un Président de droite impopulaire qui mange une crise en pleine tronche, qui est détesté et qui divise son propre camp ? Trop facile à battre pour le PS qui, après s'être doté d'un candidat qui semble être tout ce que Sarkozy n'est pas, a décidé de mettre un peu de piment dans la campagne. Puisque leurs adversaires sont incapables de leur porter des attaques efficaces, ils le feront eux-mêmes ! Et en avant Montebourg et la référence à Bismarck, et envoyez l'accord avec les Verts dont on supprime un paragraphe pour le plaisir, et qu'on ajoute une bonne accusation de corruption sur la fédération du Nord-Pas-de-Calais dont est juste issue la Première secrétaire. Ah ben ça promet ! Les prémices de la campagne sont à peine en vue que, déjà, la machine à perdre tourne à plein régime...
Le "pays des Droits de l'Homme" : Bon, "Petites phrases et grandes idées" a décidé de laisser Claude Guéant tranquille aujourd'hui. Parlons donc de la politique d'immigration française. Alors qu'il y a "trop d'étrangers en France", que les Français "ne se sentent plus chez eux", que Chantal Brunel veut les "remettre à la mer", que l'on n'a jamais autant expulsé et que les conditions de ces retours forcés sont plus barbares que jamais, les autorités françaises et leurs plus fiers représentants continuent de considérer la France comme le "pays des Droits de l'Homme". Sans rire ! Et que ceux qui ont l'envie d'aller faire une randonnée en forêt de Calais ne disent pas le contraire. A titre indicatif, le gouvernement français avait l'intention de passer de 28 000 reconduites à la frontière en 2010 à 30 000 en 2011. On fait confiance aux ministres en charge de la chose sur l'année écoulée pour avoir atteint ce chiffre dans la moindre difficulté. Ni le moindre état d'âme d'ailleurs...
Le fiasco de Durban : N'en déplaise aux activistes brouillons de Greenpeace, le vrai fiasco environnemental de l'année s'est passé en Afrique du Sud. Les choses sont, finalement, extrêmement simples : les plus grands pays du monde sont incapables de se mettre d'accord sur l'idée, pourtant simple et essentielle, de sauvegarder la planète. Le but absolu de toute politique doit être de préserver le bien-être des êtres humains, voire leur survie. Or, Chine, Inde, Etats-Unis et Russie continuent de penser qu'il vaut mieux que l'Humanité disparaisse dans 200 ans et de s'enrichir tout de suite. C'est d'un bon sens élémentaire. Les pays les plus polluants, qui sont donc également les plus riches, lègueront à leurs générations futures un gros paquet de pognon et une planète inutilisable. Logique implacable. Seule véritable décision d'impact du sommet de Durban, celle du Canada de se retirer du protocole de Kyoto. Après tout, si les pays les plus polluants ne le ratifient pas, ce n'est pas à ceux qui font déjà des efforts d'en faire encore plus.
Et encore, et encore, chaque fois qu'une télé ou une radio est allumée, qu'un journal est ouvert, l'indignation est là, chevillée au corps, moteur d'une vie de citoyen, d'électeur et de critique. Loin de la rhétorique prêtée à Che Guevara, l'éternelle insatisfaction n'est pas signe d'utopisme, c'est la preuve que, malgré les apparences, la combativité est toujours là.