De promettre ce qui existe déjà
C'est sans doute le summum de la démagogie. Et, de fait, ce n'est pas extrêmement courant : la pratique qui consiste à promettre une loi qui existe déjà ! Ces belles déclarations, en général grandiloquentes, mais qui font lever un sourcil interrogateur à celui ou celle qui sait que nul n'est censé ignorer la loi. Convenons-en : le politique ne doit jamais prendre l'électeur pour un con, mais il ne doit jamais oublier qu'il l'est. Aussi la tentation est grande de multiplier les lois sans décret (fléau déjà évoqué ici) ou les distorsions de chiffres (pratique particulièrement courante, pour le coup). Mais rien n'est pire que d'assurer vouloir faire ce qui est déjà fait.
Exemple très précis et très marquant. Durant sa campagne présidentielle de 2007 (qui a commencé en 2002), Nicolas Sarkozy a promis à plusieurs reprises de réformer la très célèbre "ordonnance de 45". Celle-ci, signée par le gouvernement provisoire présidé par De Gaulle, créait les tribunaux pour enfants et faisait un distingo clair entre justiciables mineurs et majeurs. Or, sous l'argument que les adolescents de 1945 n'étaient plus ceux des années 2000, le ministre de l'Intérieur-candidat promettait d'abaisser l'âge de la responsabilité pénale et autres joyeusetés. En soi, l'idée valait le coup d'être examinée. Sans plus d'information, considérer qu'un mineur de moins de 16 ans est totalement irresponsable pénalement peut paraître contestable. Sauf que ce n'est pas le cas, et pour cause : en août 2007, alors que Nicolas Sarkozy avait obtenu l'Elysée et la majorité parlementaire, l'ordonnance de 45 avait été réformée... 34 fois ! Dont au moins quatre fois par les gouvernements Raffarin et Villepin dont il faisait partie ! C'est ce qu'on appelle, pardon, du foutage de gueule intégral !
Exemples à l'appui
Autre fumisterie entendue, cette fois, pendant le quinquennat sarkozyste. Alors même qu'une de ces fameuses grèves, "dont on ne s'aperçoit pas" dixit le Président, venait de s'achever, un ministre (dont le nom devait commencer par Xavier et finir par Darcos, mais ce n'est qu'une supposition) s'est élevé contre ces irresponsables et a demandé, avec un culot monumental, que les fonctionnaires ne soient pas payés les jours où, précisément, ils se mettent en grève. Non mais à quel moment les fonctionnaires, comme les employés du privé, ont-ils obtenu un centime un jour de grève ? Cela n'a jamais été le cas, seulement voilà : l'électeur mal informé aime ce genre d'informations. Ca lui donne des boucs émissaires, des gens à haïr, à blâmer pour ses problèmes. Salauds de fonctionnaires qui en foutent pas une et qui plombent les caisses de l'Etat. Et en plus ils se plaignent dans la rue ! Et les médias, naturellement, de systématiquement interroger les pauvres Français qui se lèvent tôt et qui ne peuvent pas aller travailler plutôt que de présenter les revendications des grévistes.
Au cours d'une émission de télévision, il y a quelques mois, l'ancienne Garde des Sceaux Elizabeth Guigou a affirmé que plus d'une dizaine de promesses de loi votées durant l'actuelle mandature étaient des copié-collés de lois qu'elle avait elle-même faites voter. Sans croire l'ex-ministre sur parole, il existe, effectivement, plusieurs cas à ranger dans cette catégorie. Ainsi, dans la loi contre la récidive des délinquants sexuels, plusieurs articles sont tout simplement pompés sur une loi de 1999. Et les députés de droite ont gentiment voté ce qu'ils avaient combattu il y a 10 ans, en bons moutons qu'ils sont. Idem pour la fumeuse loi sur les chiens dangereux de Michèle Alliot-Marie : Jean-Pierre Chevènement s'était étranglé que le dispositif mis en place datait de son passage à l'Intérieur. Un dernier pour la route ? Allez, retour en 2008 avec la cultissime Rachida Dati. Laquelle fait inscrire au Journal officiel une loi permettant à un foetus mort-né de figurer sur les registres d'état-civil. Une possibilité qui existait déjà depuis une loi du 8 février 1993 (merci maître Eolas, qui avait remarqué l'énormité à l'époque).
Il existe de nombreux cas comme ceux-ci qui donnent méchamment envie de lire le Journal officiel à la loupe. Ce qui est plus rare, en revanche, ce sont les journalistes qui repèrent ce type de comportement. On imagine aisément qu'il y a un point à partir duquel l'électeur finit par trouver gênant le fait d'être pris pour un jambon. Allez, tiens, pourquoi pas une loi pénalisant les ministres et députés proposant une loi préalablement votée, battage médiatique à l'appui ? D'ici à ce qu'elle existe déjà, elle aussi...