Du dernier facteur X

Dernière ligne droite. On l'a déjà dit, on le répète : chaque candidat termine sa campagne en roue libre, martelant son thème favori. Philippe Poutou et Nathalie Arthaud défendront les travailleurs jusque vendredi minuit. Eva Joly essayera de donner une interview sans qu'on lui demande si elle a l'intention d'abandonner tandis que Jacques Cheminade essayera de parler de la crise sans avoir à s'expliquer sur Lyndon LaRouche ou les voyages sur Mars. Marine Le Pen continuera de voir des Mohamed Merah partout, Nicolas Dupont-Aignan essayera d'exister, etc. Bref, mis à part Nicolas Sarkozy et François Hollande, les candidats n'ont plus que quelques heures pour porter leur message.

Alors, les jeux sont faits ? Si le vote avait lieu aujourd'hui, les résultats seraient exactement les mêmes que dimanche ? Globalement, oui. Une campagne aussi longue dessine des contours assez forts. De plus, certains candidats peuvent compter sur ce que l'on pourrait appeler la "dynamique continue et entretenue". Ainsi, Philippe Poutou et Jean-Luc Mélenchon bénéficie d'une bienveillance médiatique qui entretient le buzz qui les entoure. Chaque jour qui passe leur fait donc gagner des voix. Indépendamment de ce qu'ils disent. Mais reste une vraie dernière variable d'ajustement qui peut faire changer d'avis quelques électeurs. La parole et les propositions des candidats n'ont plus d'importance à cette heure, seule l'actualité compte. Les faits divers, les grandes lignes internationales, voilà le dernier facteur X de ce premier tour.

Et si Florence Cassez était libérée ?

Naturellement, le meilleur exemple reste ce bon vieux papy Voise, victime d'une agression à la veille du premier tour de la présidentielle de 2002. Du pain béni pour les partis les plus "durs", ce fait divers a longtemps été considéré comme le dernier coup de pouce au FN, favorisant son accession au second tour. Cela amène à réfléchir au timing des évènements. Et si la tuerie de Toulouse avait eu lieu aujourd'hui, aurait-elle mieux profité à la droite dans son ensemble ?

C'est un peu (beaucoup) dans cette logique que le gouvernement a voulu forcer le cours des choses, la semaine dernière, en arrêtant tous ce que la France comptait de minorités visibles ayant passé plus de trois semaines au Moyen-Orient. Résultat : une enquête totalement bâclée, des excuses publiques de Claude Guéant, des relaxes générales, une polémique autour de la médiatisation des interpellations et des dizaines de personnes traumatisées (excellent article du Monde sur le sujet ici). Sarkozy a très certainement surestimé l'impact de la menace terroriste sur l'imaginaire collectif, mais aussi la gentillesse des médias à son égard. Il y a cinq ans, pareil coup de filet aurait été accueilli par des applaudissements des journaux et télés. Aujourd'hui, on se demande comment les caméras de France 2 étaient sur place avant la police... Le Président sortant sait que l'actualité pèse plus que les discours. Mais à trop tirer sur le ressort...

Alors que nous voilà quasiment sûr de ce que l'on fera dimanche, un fait divers, ou toute autre actualité, peut-il modifier notre comportement ? Admettons que Florence Cassez soit libérée. Quel impact cela aurait sur le vote en faveur du Président sortant, sachant qu'il aurait, lui, deux semaines de plus pour capitaliser sur la chose ? Et si un groupe de salariés mobilisés depuis longtemps, à Florange, Lejaby ou ailleurs, trouvaient un repreneur ? Si un grand ponte d'un parti mourrait ? Si un candidat essuyait une tentative de meurtre ? Les sondages publiés quotidiennement ne peuvent pas mesurer l'impact émotionnel que pourrait avoir une nouvelle de ce genre sur les électeurs, tout comme personne ne pouvait voir venir papy Voise. Espérons seulement qu'il n'y aura rien de tout cela, la démocratie se devant d'être comme la justice : privée de sentiments et empreinte de rationalité.