Du "mélange des genres"

Tout a été dit, ou presque sur les propos de Claude Guéant. Tous les propos, c'est-à-dire l'ensemble de sa récente campagne xénophobe. Le mot qui revient le plus souvent est "nauséabond". On l'a entendu dans la bouche de Martine Aubry, on l'a lu sur le compte Twitter de Manuel Valls. François Hollande, lui, joue la stratégie de la hauteur. Preuve que l'un des objectifs de ces saillies à répétition, à savoir faire dégoupiller le socialiste, n'a pas été rempli. Pour le reste, inutile de débattre du fond des propos du ministre de l'Intérieur. Même Rachida Dati, pourtant à peine de retour en odeur de sainteté, s'est élevée contre.

Il y a cependant un aspect que personne n'a encore relevé et qui, pourtant, vaut son pesant de cacahuètes bio. Pour bien comprendre cela, il faut revenir à une autre scène qui s'est déroulée la semaine dernière. C'était jeudi, en fin de matinée, au ministère de l'Environnement. Nathalie Kosciusko-Morizet y faisait ses adieux et passait ses prérogatives au Premier Ministre. Afin de mieux endosser le tailleur de porte-parole de Nicolas Sarkozy, elle quittait donc son portefeuille afin que l'écologie reprenne sa place historique au sein de la droite française (au fond, à droite, juste derrière le placard à balai). Résultat : les dossiers environnementaux sont désormais sur le bureau de François Fillon, passionné d'automobile. Rire glacial. Mais ce qui demeure le plus frappant dans ce micro-événement, c'est la justification par NKM de son départ. La voix de son maître veut "éviter tout mélange des genres". Voilà qui est bien légitime. Un ministre n'a pas à faire campagne pour un candidat, ni moralement, ni légalement. Mais alors ?...

Est-ce légal ?

Nous n'avons pas rêvé. Cette fameuse déclaration absurde, stupide et idiote de Claude Guéant sur les conseillers municipaux qui imposent le halal à la cantine, elle a bien eu lieu au cours d'un meeting du ministre de l'Intérieur. Affreux doute : depuis quand des ministres tiennent-ils des meetings ? Ni en campagne électorale, ni en promotion d'une réforme, jamais on n'a vu un membre du gouvernement tenir un meeting. Nicolas Sarkozy a même demandé à ses ministres élus lors d'élections intermédiaires de démissionner. Or, Guéant était bien en meeting à Velaine-en-Haye (photo), en Lorraine, lorsqu'il a tenu ces propos. La salle était garnie de 300 personnes et l'ancien secrétaire général de l'Elysée y a fait allégrement la promotion de la réélection du Président sortant. Alors ? "Mélange des genres" ?

Le code électoral français ne s'applique pas à l'élection présidentielle. Les recherches concernant la légalité de la campagne menée par Claude Guéant devraient donc passer par une enquête auprès du ministère compétent en la matière. Le ministère de l'Intérieur, donc... Que certains membres du gouvernement participent à des réunions publiques d'un candidat est une chose. Ils peuvent même y prendre la parole, mais ils y sont les invités, et non les organisateurs. La question, finalement, n'est même plus de savoir si les propos de Claude Guéant sont "nauséabonds" ou pas, mais s'il a le droit de les tenir comme il le fait. Si d'aventure, il était dans la plus stricte légalité, on aurait donc affaire à un "mélange des genres". Dixit la porte-parole de Nicolas Sarkozy elle-même.

Personne n'a jugé bon de relever cette curiosité dans le positionnement actuel du ministre de l'Intérieur. Disposerait-il d'un statut particulier qui le hisserait au niveau d'un super-directeur-de-campagne-porte-parole-mais-toujours-ministre-préposé-à-la-droitisation-de-la-campagne ? A-t-on, pour le moins, le droit de le lui demander ? Et va-t-il, finalement, lui aussi quitter le gouvernement pour mener une campagne sans mélanger les genres ? Il faut croire que, comme pour les civilisations, tous les ministères ne se valent pas...